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Acquisition de Slackforce: Une démonstration de Force face à Microsoft.

 

Par Tom Deloule, membre de l’Association du Master Droit Bancaire et Financier Université Lyon 3

« La crème de la CRM¹2 ». – Si elle est assez peu connue du grand public, la société Salesforce n’en demeure pas moins un acteur incontournable de l’industrie technologique américaine et, à plus forte raison, mondiale. A l’époque de son introduction en bourse au mois de juin 2004, celle qui était alors une startup de taille modeste, créée pendant la « bulle internet » et lui ayant survécu, mais pleine d’ambitions fût même comparée à Google qui ouvrait son capital au public en cette même année.

Salesforce opère à l’origine dans le domaine de l’offre de logiciels de relation client, d’où elle tire son acronyme boursier (CRM), et, plus largement, l’entreprise évolue dans l’univers du logiciel d’entreprise. L’objectif provocateur et hyperbolique affiché par son fondateur et dirigeant de toujours, Marc Benioff, est alors de « mettre un terme aux logiciels. » Il faut comprendre par cela que la société ambitionne de dépasser les usages qui étaient alors (et demeurent parfois) de vendre la licence d’un produit nécessitant temps et argent pour le déployer dans l’entreprise cliente avant de repartir de zéro avec la version suivante. A l’inverse, ce n’est pas un produit que Salesforce vend mais un service auquel les clients s’abonnent, leur offrant un accès permanent grâce au cloud, évolutif ainsi qu’une assistance en cas de besoin.

La recette a pris auprès du monde professionnel et Salesforce a ainsi vu son activité croître de manière continue et soutenue durant les 15 dernières années, faisant de la société un géant de l’économie californienne. Ce statut est peut-être avant tout marqué par l’inauguration en 2018 de la « Tour Salesforce », plus haute de San-Francisco et seconde dans l’Etat doré3 .

En dépit des succès, Salesforce est longtemps restée dans l’ombre de ses principaux concurrents, SAP et Oracle, avec une capitalisation boursière bien plus modeste. Ce n’est désormais plus le cas puisque le titre a pleinement bénéficié du boom de l’industrie du cloud software, survenu du fait de la crise de la Covid-19. De fait, la valeur de l’action a plus que doublé entre mars et septembre. Pour le seul 26 août, jour à marquer d’une pierre blanche au 415 Mission Street, adresse de la tour Salesforce, le titre s’est envolé de plus de 25% en raison de l’intégration de l’action au roi des indices américains, le Dow Jones Industrial Average, forme de consécration pour l’entreprise4 .

Un pure-play devenu plateforme. – Avec le temps, le développement de l’entreprise s’est de plus en plus construit avec comme pierre angulaire des opérations de croissance externe, élargissant son champ d’activité à l’ensemble du monde du logiciel d’entreprise dématérialisé. Ainsi, les acquisitions se sont multipliées ces dernières années et sont même devenues de plus en plus fréquentes. On peut à ce titre mentionner l’achat des entreprises Exacttarget et Demandware en 2013 et 2016, chacune pour 2,5 milliards de dollars. Dernièrement, ce sont les acquisitions de Mulesoft contre 6,5 milliards de dollars en 2018 et celle de Tableau pour 15,3 milliards en 2019 qui ont marqué les esprits.

Ces opérations ont pour but d’élargir la gamme de services offerts par Salesforce dans l’idée de proposer une plateforme complète couvrant largement les besoins des entreprises clientes, qui seraient dès lors prêtes à payer plus et auraient tendance à davantage de fidélité. Cette évolution fait que la société californienne entre de plus en plus en concurrence avec un titan de l’industrie technologique, Microsoft. Les deux entreprises s’étaient notamment affrontées pour la prise de LinkedIn en 2016, bataille remportée par Microsoft pour un montant supérieur à 25 milliards de dollars.

« Smells like Teams spirit 56 ». – L’accord en vue d’acquérir Slack se situe donc dans le prolongement direct de cette stratégie de développement et d’élargissement de l’offre des services tout en marquant un nouveau record de dépense pour Salesforce.

Slack est une société proposant un service de messagerie en entreprise qui, contrairement à beaucoup et notamment à Salesforce, n’a pas su tirer profit de la crise actuelle et à même perdu en valeur depuis 2019 avec des résultats trimestriels souvent décevants7 . Cela est en grande partie dû à la concurrence impitoyable de Microsoft Teams. Le service n’y est pas forcément intrinsèquement meilleur mais Teams bénéficie pleinement du fonctionnement en plateforme de la firme de Redmond. En effet, pour un abonné à l’ensemble des services Microsoft, pourquoi payer un produit supplémentaire ? L’entreprise californienne n’en est pas moins un candidat à la reprise intéressant, du fait même de sa capitalisation raisonnable et d’une pénétration de marché loin d’être un échec8 . Il s’agit également d’accompagner au mieux les évolutions dans les méthodes de travail.

Le montant de l’opération s’élèvera ainsi à 27,7 milliards de dollars soit environ 23 milliards d’euros. Si la somme est impressionnante, elle est désormais presque devenue habituelle dans l’industrie technologique et apparaît d’autant plus simple à réunir que la capitalisation de Salesforce est importante, sans oublier que le coût de l’argent est actuellement très faible. Près de la moitié du prix sera payé en numéraire et le reste en actions.
Le financement de cette acquisition passe pour partie par l’emploi de liquidités dont dispose Salesforce et pour partie par un crédit-relais d’un montant de 10 milliards de dollars, en attendant une émission obligataire ou la conclusion d’un contrat de gré à gré pour un endettement à plus long-terme.

À la suite des rumeurs puis de l’annonce officielle, la réaction des investisseurs a été plutôt inégale selon que l’on se place du côté de l’achetant ou de celui de l’acheté. La valeur de Slack est ainsi montée en flèche, du fait de la prime de 38% offerte par Salesforce par rapport à la capitalisation antérieure de la société. Pour la même raison et dans un contexte de correction touchant les valeurs ayant le plus bénéficié de la crise, le cours de l’action de Salesforce s’est nettement affaissé.

On peut comprendre, avec cette baisse, que les investisseurs ont quelques doutes concernant le bénéfice qui sera tiré de cette opération dispendieuse pour un résultat et une synergie entre les services pouvant sembler incertaine.

Sources :
– Reuters
– Le Monde
– The Financial Times
– The Economist
– TradingView

1 CRM : Customer Relationship Management que l’on traduit par gestion de relation client.
2 https://www.economist.com/business/2004/06/17/creme-de-la-crm
3 https://www.economist.com/business/2018/01/04/masterful-salesmanship-has-pushed-salesforce-to-ever-greater-heights
4 https://www.ft.com/content/96367db0-5cf2-4ff8-a6e1-ac5fe163436a
5 « Ça sent l’esprit Teams » (Produit Microsoft directement concurrent de Slack) 6 https://www.ft.com/content/6c71e131-4346-42ef-be19-f5b25acd4d47 7 https://www.ft.com/content/d47f5ae9-d1fe-4c68-ba95-7ad6f60c4cfa 8 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/01/le-geant-informatique-salesforce-achete-la-messagerie-slack-pour-presque23-milliards-d-euros_6061838_3234.html

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